Publié par Amnesty International le 02.02.2023
Ségrégation territoriale et restrictions de déplacement, saisies massives de biens fonciers et immobiliers, expulsions forcées, détentions arbitraires, tortures, homicides illégaux… Un an après la sortie de notre rapport, les exactions commises par les autorités israéliennes sur les Palestiniens et Palestiniennes se sont encore aggravées.
Les autorités israéliennes doivent démanteler le système d'apartheid qui provoque tant de souffrances et d'effusions de sang. Depuis que nous avons lancé une grande campagne contre l'apartheid il y a un an, les forces israéliennes ont tué près de 220 Palestinien.ne.s, dont 35 pour le seul mois de janvier 2023.
En janvier 2023, une série d'attaques meurtrières a mis en évidence le besoin urgent de mettre fin à une impunité qui nourrit ce cycle de violence. Le 26 janvier, les forces israéliennes ont mené un raid sur le camp de réfugiés de Jénine et tué dix Palestiniens, dont une femme de 61 ans. Le 27 janvier, sept civils israéliens ont été tués lorsqu'un Palestinien armé a ouvert le feu à Neve Ya'akov, une colonie israélienne de Jérusalem-Est occupée. En réponse à cette attaque, les autorités israéliennes ont intensifié la punition collective contre les Palestinien.ne.s, procédant à des arrestations massives et menaçant de démolir des maisons à titre punitif.
Dans le cadre de l'apartheid, les autorités israéliennes contrôlent pratiquement tous les aspects de la vie des Palestiniens et Palestiniennes et les soumettent à une oppression et une discrimination quotidiennes par le biais de la fragmentation territoriale et de la ségrégation juridique. Les Palestinien.ne.s des territoires palestiniens occupés (TPO) sont séparés en enclaves distinctes, ceux et celles qui vivent dans la bande de Gaza étant isolés du reste du monde par le blocus illégal d'Israël, qui a provoqué une crise humanitaire et constitue une forme de punition collective.
Des preuves quotidiennes de l'apartheid
Le 1er février 2022, nous avons publié un rapport exposant la manière dont Israël applique un système institutionnalisé d'oppression et de domination contre les Palestiniens et Palestiniennes partout où il exerce un contrôle sur leurs droits – en Israël, dans les territoires palestiniens occupés – et contre les personnes réfugiées dans la région en leur refusant le droit au retour. Il a montré comment les lois, les politiques et les pratiques israéliennes sont promulguées dans le but primordial de maintenir une majorité démographique juive et de maximiser le contrôle des terres et des ressources au profit des Israéliens juifs et au détriment des Palestinien.ne.s.
L'année 2022 est devenue l'une des années les plus meurtrières pour les Palestiniens et Palestiniennes de Cisjordanie occupée depuis au moins 2005. Quelque 153 Palestiniens, dont des dizaines d'enfants, ont été tués par les forces israéliennes, principalement dans le cadre de raids militaires et d'opérations d'arrestation plus nombreux. Nos recherches ont montré que 33 Palestiniens, dont 17 civils, ont été tués par les forces israéliennes lors de leur offensive d'août 2022 sur Gaza, et qu'au moins sept civils ont été tués par des roquettes lancées par des groupes armés palestiniens.
Pendant ce temps, les attaques violentes de la part de colons israéliens contre les Palestiniens ont augmenté pour la sixième année consécutive en 2022, avec notamment des agressions physiques, des dommages aux biens et la destruction d'oliveraies. Il existe de nombreux documents montrant que les autorités israéliennes tolèrent et facilitent ces violences, notamment en arrêtant les Palestiniens attaqués, en fournissant une escorte armée aux colons ou en assistant passivement à ces violences. La culture de l'impunité a encouragé de nouvelles violences, comme la montre la vague d'attaques menées par des colons ces derniers jours. À la suite de la fusillade de Neve Ya'akov, les autorités israéliennes ont annoncé des mesures visant à accélérer l'octroi de permis de port d'armes "afin de permettre à des milliers de citoyens supplémentaires de porter des armes". Ceci pourrait résulter en de nouvelles violences. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui s'est déjà engagé à étendre massivement les colonies illégales dans le TPO, a également déclaré que le gouvernement prévoyait de "renforcer les colonies".
Toutes les colonies israéliennes dans les TPO sont illégales au regard du droit international, et la politique israélienne de longue date consistant à installer des civils en territoire occupé constitue un crime de guerre. L'expansion accrue des colonies fera courir à d'innombrables autres Palestinien.ne.s le risque d'un transfert forcé, un crime contre l'humanité que les autorités israéliennes ont commis de manière systématique.
Un exemple récent est la décision de la Cour suprême de mai 2022 qui a autorisé le transfert forcé de plus de 1 150 Palestiniens de Masafer Yatta en Cisjordanie. Au cours de l'année écoulée, les autorités israéliennes ont également intensifié leurs projets de démolition du village non reconnu de Ras Jrabah, dans la région israélienne du Néguev/Naqab, et de déplacement de ses 500 habitants bédouins palestiniens, tandis qu'en janvier 2023 le village bédouin d'Al-Araqib a été démoli pour la 212e fois.
Notre rapport sur l'apartheid a montré comment les expulsions forcées dans la région du Néguev/Naqab, et dans l'ensemble des TPO, sont réalisées dans le but d'atteindre les objectifs démographiques d'Israël.
Une reconnaissance croissante
Face à ces violations, la communauté internationale reconnaît de plus en plus que les autorités israéliennes commettent un apartheid. Les Palestiniens et Palestiniennes demandent depuis longtemps que ce qu’ils subissent de la part des autorités israéliennes soit considéré comme un régime d’apartheid, et des organisations palestiniennes de défense des droits humains telles que Al-Haq ou le Centre Al Mezan pour les droits de l'homme ont été à l'avant-garde du plaidoyer de l'ONU à cette fin.
La pression pour une telle reconnaissance a pris de l'ampleur en 2022, lorsque deux rapporteurs spéciaux de l'ONU ont conclu que les autorités israéliennes pratiquaient l'apartheid. Le nombre d'États au Conseil des droits de l'homme faisant référence à l'apartheid d'Israël a doublé, passant de neuf en 2021 à dix-huit en 2022. L'Afrique du Sud et la Namibie font notamment partie des États qui ont exprimé leur inquiétude quant au fait que le traitement des Palestinien.ne.s par Israël constituait un tel crime. Plusieurs organisations internationales et israéliennes de défense des droits humains ont également appelé à la fin de l'apartheid, notamment Human Rights Watch, B'Tselem et Yesh Din.
Les autorités israéliennes se sont données beaucoup de mal pour supprimer et discréditer ces accusations. Les conséquences sont particulièrement graves pour les défenseurs palestiniens des droits humains. En août 2022, les autorités israéliennes ont perquisitionné les bureaux de sept grandes ONG palestiniennes après les avoir qualifiées d'"entités terroristes" et les avoir mises hors la loi. En décembre, Salah Hamouri, avocat franco-palestinien et chercheur sur le terrain pour l'organisation de défense des droits des prisonniers Addameer, a été déchu de sa résidence à Jérusalem et expulsé vers la France après avoir passé neuf mois en détention administrative en Israël.
Mépris du droit international
En mai 2023, le bilan d'Israël en matière de droits humains sera examiné dans le cadre de l'examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme des Nations unies, pour lequel nous avons formulé des recommandations aux autorités israéliennes. Ces dernières ont ignoré la plupart des recommandations formulées par les autres États et approuvées par le Conseil des droits de l'homme lors du précédent cycle d'examen à l’ONU, en 2018. Par exemple, bien qu'il ait été exhorté à plusieurs reprises au fil des ans, puis à nouveau en 2018, à mettre fin à la détention administrative, Israël détient actuellement plus de 860 Palestiniens sans inculpation ni procès, le nombre le plus élevé depuis quinze ans.
"Le mépris de longue date des autorités israéliennes pour leurs obligations au regard du droit international et des recommandations de la communauté internationale continue d'avoir des conséquences désastreuses pour les Palestiniens et compromet la protection des droits des Israéliens également", a déclaré Agnès Callamard. "Aucun État ne devrait pouvoir bafouer systématiquement le droit international, y compris les résolutions contraignantes du Conseil de sécurité des Nations unies, en toute impunité. Nous appelons les États à cesser toute forme de soutien aux violations commises par Israël et à rompre avec des années d'inaction complice en demandant des comptes aux autorités israéliennes."